De la Mélasse

Lily s’était mise à rire lorsque dans sa tête, déjà bien confuse, les questions s’étaient mises à courir de toute part. Les pieds dans le vide, contemplant cette « ville » depuis les hauteurs d’une habitation, elle venait d’avaler une énième série de cachets volés, ici ou là, au fil de ses pérégrinations.

C’était la veille qu’elle avait rencontré Léah et Gabriel. Eux aussi faisant visiblement partis du jeu contre leur volonté. Une fillette et un jeune homme. Qu’est-ce qui pouvait les avoir conduit à se retrouver ici ? Quels étaient les facteurs communs entre eux ? Tout en tordant une plaquette de médicament, la jeune femme repensait à une de ses lectures. Acide Sulfurique. Un champ de bataille s’organisait dans sa tête. Des pensées qui, lentement, coagulaient les unes avec les autres. Et cette phrase qui, toujours, lui revenait en mémoire… Demain c’est le grand jour. Esther avait l’air tellement enthousiaste à cette idée. Après la murder, quelque chose de fabuleux devait avoir lieu. Seulement, Lily s’agaçait subitement. Il lui était impossible de se souvenir du pourquoi. Pourquoi demain aurait dû être un grand jour… Que devait-il se passer ?

Tout ceci sonne faux. Les cris. Les hurlements. Les gens roués de coups parce qu’ils ont essayé. Lily se relevait afin de s’approcher davantage du bord. Un flirt avec le vide. Longuement, elle observait le contre bas. L’asphalte encore humide de pluie résonnait à la manière d’un aimant. Un pas de plus… Elle allait tracer le second lorsqu’elle vit un groupe d’habitant passer. Leur inquiétude montait brutalement jusqu’à elle, enflait au fil de leurs propos. C’était à ce moment précis, elle se détourna, jaugea le couteau de cuisine encore rouge à sa pointe. Elle en avait oublié le sang qui tachait sa main, s’écoulait le long de ses doigts.
C’était tiède.

… Dans l’heure qui suivit, son poignet était bandé, marqué d’une cicatrice en plus. Avec Tin, ils auraient dû poursuivre ce jeu-là, sous l’œil consterné de David. Stairn et Nais auraient été là aussi, contemplant ce cirque avec perplexité. Mais au final… Tous y auraient mis de leur contribution.
L’idée la faisait sourire intérieurement. Et ses pas s’alignaient lentement dans les rues. Une énième ballade dans la cité. Grise. C’était avec une chanson en tête que Lily observait chaque caméra visible à ses yeux. Une manière de mémoriser leur emplacement, de les compter. De cartographie cette putain de Townsville. Sans savoir à quoi lui servirait de faire ceci.

Elle fit un détour par chez Léah et Gabriel, armée d’une conserve transformée en pot de fleur à pied de tomates. Gentiment, il fit entrer celle-ci. Lily lui offrit son plant. Sans raison apparente. De toute façon, elle savait très bien qu’elle oublierait de l’arroser, comme elle oubliait si souvent de se nourrir. Elle vit les dessins sur les murs, l’agacement, l’inquiétude, la crainte. Le manque.

C’est là que Lily comprit un détail.
Elle n’était pas inquiète. N’arrivait absolument pas à l’être. L’idée lui paraissait plutôt étrange, comme un mystère à résoudre, à comprendre. Les regardaient-ils réellement tout au long de la journée ? A quoi pouvait rimer tout ce manège ? Une mise en scène… Dans tous les cas pourquoi aurait-elle dû s’y intéresser ? Lily prenait place sur le seuil d’une maison. D’un doigt, elle retraçait la marque faite tantôt. Même ça, ça ne l’avait jamais vraiment affectée.

D’un mouvement de tête, Lily se mit à chercher quelque chose du regard.
Tout ce qu’elle trouva, fut son propre reflet dans une vitre, et la silhouette d’un homme.
Suite à ça, elle rentra chez elle.

… Assise dans sa cuisine dévastée, Lily s’est emparée d’un bout de vaisselle cassée. Autour d’elle, les pots de peinture que Gabriel lui avait trouvés. Juste un regard pour ces derniers tandis que lentement, elle enfonçait le morceau de porcelaine dans son avant bras. Elle y traçait un fin sillon rougeâtre. Comme à chaque fois, il ne se passait rien dans sa tête, aucune réaction nerveuse. Le néant le plus totale. Seule, et face à elle-même, entrain de regarder le sang se répandre sur sa chair. Lily leva les yeux au ciel puis balança le débris au sol. Du plan de travail, elle arracha une serviette afin d’éponger la souillure.
Une petite bande suffirait amplement à arrêter l’écoulement, ainsi qu’à favoriser la cicatrisation.

Elle ne se souvenait plus exactement quand Gabriel lui avait donné les pots. Ni quand elle avait apporté le géranium métallique pour Léah. Elle sait juste qu’elle a croisé un autre visage féminin. Une fille à qui, elle avait refilé une caméra arrachée d’un lampadaire. Ca oui, elle s’en rappelait très bien. De la sensation du vide. De la tête qui lui tournait. De cette fascination qu’elle peut avoir pour la chute. Gabriel, lui, n’avait pas l’air du même avis. Pourtant, elle a réussi à l’avoir la caméra. Mais pas à s’écraser la gueule contre le sol. Lily se demandait si elle aurait eu mal. Si son esprit au dernier moment aurait hurlé à la vie.

…Afin de taire une question complètement inutile distillée par un raisonnement qui n’est pas le sien, d’oublier tous les mots qu’elle avait pu lui balancer plusieurs soirs, Lily se mit à préparer autre chose que des explosifs faits maison. Elle a ramassé tout un tas de boites de médicaments pour en faire un énième tri afin de n’en garder que certaine. Avec beaucoup de soin… Elle les a toutes écrasées pour mélanger la poudre à l’alcool. Oh… ne pas en douter. Mademoiselle MacNeil savait parfaitement ce qu’elle faisait pour l’avoir pratiqué durant des années.

Tout ceci avait été préparé le matin. Lily avait autre chose à faire. La bouteille d’alcool fut reléguée sur le plan de travail. Avant de partir, elle s’enfila une conserve froide sans faire attention ni à la date, ni à ce qu’elle contenait. Avec elle, elle emporta son couteau, les pots de peintures et tout un jeu de cachets divers et variés. Lily avait une idée en tête à réaliser.

…Lorsqu’elle sortit de chez elle. Il pleuvait encore.
Dans une inspiration, elle sentit qu’elle avait envie de fumer tout un paquet de cigarette en entier. Quitte à s’enfumer avec les vingt en même temps. Elle sourit à l’idée puis posa ses yeux sur ce qui l’entourait. Il y avait encore cette silhouette qui rôdait. Semblable à un souvenir.
A un souvenir multiple.

One, two, three
Eat me, drink me.


J’me souviens.

C’est peut-être à ce moment là que Lily aurait voulu que Tin la saigne.

Donnez-lui de l’alcool. De la poudre, et Lily vous fabriquera des artifices maison. Que voulez-vous, ce n’est pas de sa faute si… Elle est ainsi faite. Une mémoire effrayante, et une personnalité qui arrive à tout mettre en pratique si les stimuli sont présents pour y arriver.
Ajouter à cela un soupçon sur-dosé de haine, de colère provenant d’une tierce personne, en plus de celles qu’elle cultive sans rien dire. Et en ayant à peine conscience… Mademoiselle MacNeil partira forcément à la dérive entrainant quelques personnes dans son sillage.

Une nuit… L’église a sauté.
Une maison aussi entrainant avec elle la crémation de deux autres.

Un message personnel ?
Bah…
C’est beau les feux d’artifice.

Tu vois Gab.
Même là, il y a plein de couleur.
Ouvre les yeux.


[…]


Lily ?
Hm ?
Tu te souviens de notre promesse ?
Bien sûr.
Tu crois que tu vas pouvoir la tenir ?

Elle haussa les épaules. Un sourire aux lèvres. Puis répondit.
Demande-moi et je t’exaucerai.


[…]


Une nuit pour soulager des consciences, des envies de meurtres et de violences, il y eut deux feux d’artifices.
…Dans sa tête, Lily pensait…

Et ce n’est qu’un début.



[…]


Punition.
Le ravitaillement pas de sacs pour eux.
Oui, et ?

Il suffit d’aller se servir soi-même.
Ce soir alors.